Un Compte Rendu insuffisamment détaillé engagera la responsabilité
des médecins pour présomption de faute ?
______




Par les Drs Marcel Garrigou-Grandchamp & Patrick Carlioz - le 24 janvier 2025

______

C'est la conclusion que l’on peut tirer de la décision de la Cour de Cassation du 16 octobre 2024 (Arrêt n° 567 F-B
 contre la décision de la Cour d'appel Aix-en-Provence n°10 2022-09-29).

La responsabilité des professionnels de santé se voit ainsi étendue de la faute (art L1142-1 alinéa 1 du code de santé publique « Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute… » à la présomption de faute !

Au cours d’une arthroscopie (indiction ?) de hanche en 2012, qui consiste à intervenir sur l’articulation sans l’ouvrir, une broche guide métallique s’est rompue endommageant l’articulation. Deux ans plus tard, en 2014, le patient est opéré pour une PTH (Prothèse Totale de Hanche). En 2018 il assigne en responsabilité et indemnisation le chirurgien orthopédique.

Le 29/09/2022 la cour d’appel d’Aix-En-Provence a rejeté la demande du patient se fondant sur les recommandations de la SFA (Société Française d’Arthroscopie) qui décrit la technique de l’arthroscopie qui consiste après l’introduction du trocart à introduire de l’air et du sérum physiologique dans l’articulation. Mais le chirurgien ne le mentionnait pas expressément dans le CRO (Compte Rendu Opératoire) étant donné que le geste est systématique et obligatoire (l’acte ne pouvant se dérouler sans ce préalable) ! La cour d’appel a évoqué une double origine possible au dommage subi par le patient :

  • Les conditions anatomiques pré existantes,
  • Ou un manquement du chirurgien qui n’aurait pas suivi les recommandations de la SFA alors que comme expliqué supra l’acte ne peut être réalisé sans cette étape initiale !

Mais cette dernière assertion n’étant qu’une hypothèse, la faute du chirurgien n’a pas été retenue.

 

Le patient dépose un pourvoi en cassation et le 16/10/2024 la 1è chambre civile casse et annule la décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence argumentant que :

  •  Si « la preuve d'une faute comme celle d'un lien causal avec le dommage invoqué incombe au demandeur »,
  •  « dans le cas d'une absence ou d'une insuffisance d'informations sur la prise en charge du patient, plaçant celui-ci ou ses ayants droit dans l'impossibilité de s'assurer que les actes de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés ont été appropriés, il incombe alors au professionnel de santé d'en rapporter la preuve. »
  • Et en rejetant la faute du chirurgien sur l’hypothèse que ce dernier n’aurait pas respecté les recommandations de la SFA, alors que, en l'absence d'éléments permettant d'établir que la recommandation précitée avait été suivie, il appartenait au médecin d'apporter la preuve que les soins avaient été appropriés, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Il ressort de ce jugement « tatillon » une nouvelle contrainte qui petit à petit va s’imposer à toutes les spécialités médicales, y compris la Médecine Générale en cas de saisie juridique des dossiers et des comptes rendus de consultations ou d’actes en imposant de donner le plus de détails possibles pour la description des actes réalisés !


Dr Marcel GARRIGOU-GRANDCHAMP
(Conseiller Ordinal 69, Responsable de la Cellule Juridique de la FMF) et Dr Patrick CARLIOZ (Membre de l'Académie Nationale de chirurgie, Expert chirurgie pédiatrique près des juridictions)