LA RÉDACTION D’UN CERTIFICAT MÉDICAL OU D’UN SIGNALEMENT JUDICIAIRE / ADMINISTRATIF

À PROPOS DE MALTRAITANCE

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Marcel GARRIGOU-GRANDCHAMP  -  Le 04/01/2025

 

 

Dans un arrêt du 15 octobre 2024 (n°472072) le Conseil d’État (CE) en cassation d’un dossier disciplinaire d’appel fait la distinction entre un signalement judiciaire ou administratif et un certificat médical à propos de maltraitance sur mineur. Dans cette décision le CE confirme un précédent arrêt du 19 mai 2021 (n°431346)

Conformément à l’art R4127-44 du code de la santé publique, le médecin a obligation de signaler aux autorités judiciaires et administratives tous sévices ou privations sur mineur. Le médecin peut y préciser tout ce qu’il a pu relever ou déceler lors de sa prise en charge. Ce signalement qui n’est pas un certificat au sens de l’art R4127-76 du même code, peut comporter outre les constatations médicales, des comportements et propos tenus par l’enfant, mais aussi par ses parents ou par les personnes les accompagnant !
Le signalement peut faire état de tous les éléments utiles à l’évaluation et au traitement du dossier par l’autorité judiciaire ou administrative.

En revanche le certificat concernant un mineur remis notamment à l’un des parents doit se borner aux seules constatations médicales.

Dans cet arrêt le CE a une appréciation « large » de la notion de signalement. Classiquement tout courrier médical est assimilé d’un point de vue disciplinaire à un certificat mais dans le cas de cet arrêt, le courrier adressé au juge des enfants est assimilé à un signalement bien que ce dernier ne fasse pas partie des autorités signalées à l’art 226-14 du code pénal « auxquelles le médecin peut transmettre un tel signalement… »

Je reproduis ci-dessous l'argumentaire du CE (alinéa 14 de l’arrêt):

« 14. Ainsi qu'il a été dit au point 3, le courrier du 3 décembre 2018 constituait un signalement aux autorités judiciaires au sens des dispositions de l'article R. 4127-44 du code de la santé publique bien que transmis aux juges des enfants, autorité qui ne figure pas parmi celles mentionnées à l'article 226-14 du code pénal auxquelles le médecin peut transmettre un tel signalement sans que sa responsabilité disciplinaire puisse être engagée pour ce motif, sauf à ce qu'il soit établi que le médecin a agi de mauvaise foi. Il résulte de l'instruction que ce courrier fait état d'un conflit aigu entre Mme F... et M. A... à propos de la prise en charge de l'enfant B... A... et avait pour objet d'alerter le juge des enfants d'ores et déjà saisi, en application de l'article 375 du code civil, de la situation de cet enfant, sur le risque imminent de rupture des soins médicaux dont il bénéficiait. Dans ces conditions particulières, ce signalement ne constitue pas un manquement aux obligations déontologiques résultant des articles R. 4127-28 et R. 4127-51 du code de la santé publique cités au point 11. »

Là aussi le CE confirme sa jurisprudence initiée avec l’arrêt du 19 mai 2021 n°431352  en considérant que l’information délivrée par le médecin au juge des enfants déjà saisi d’un dossier ne viole pas le secret médical.

Cette interprétation est conforme aux 2 premiers alinéas de l’art 226-14 du code pénal rappelé in extenso ci-dessous mais il pourrait être discutable de le faire en direction d'un juge déjà saisi du dossier: dans ce cas il ne s’agirait plus d’un signalement mais d’un complément d’informations toutefois conforme aux termes de l’arrêt du 15 octobre 2024 (n°472072) : Le signalement peut faire état de tous les éléments utiles à l’évaluation et au traitement du dossier par l’autorité judiciaire ou administrative.

Le législateur tend par là à inciter les médecins à signaler les cas de maltraitance alimentant le débat entre obligation (doit signaler) et faculté (peut signaler) en assurant une certaine immunité au médecin précisée au dernier aliéna de l’art 226-14 du code pénal: « …Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi… »

Mais la limite entre signalement et immixtion au sein des affaires de famille au sens de l’art R4127- 51 du code de la santé publique est ténue d’autant que les CDOM, qui n’ont aucun pouvoir juridique ont obligation de réceptionner toutes les plaintes, d’organiser une conciliation et de les transmettre à la CDPI en s’y associant éventuellement (art L4123-2 du code de la santé publique) ! Même si les CDOM se permettent « d’évacuer » de façon non réglementaire les plaintes entrant dans le cadre de l’art L4124-2 du code de la santé publique  qui protège les professionnels exerçant dans le cadre d’un service public ou d’une fonction de contrôle.

 

 

Article 226-14 du code pénal
(Version en vigueur depuis le 12 mai 2024)

Modifié par LOI n°2024-420 du 10 mai 2024 - art. 15

L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n'est pas applicable :

1° A celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de maltraitances, de privations ou de sévices, y compris lorsqu'il s'agit d'atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ;

2° Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République ou de la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être, mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 226-3 du code de l'action sociale et des familles, ou qui porte à la connaissance de la cellule mentionnée à l'article L. 119-2 du même code les sévices, maltraitances ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n'est pas nécessaire ;

2° bis Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République des informations relatives à des faits de placement, de maintien ou d'abus frauduleux d'une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique, au sens de l'article 223-15-3 du présent code, lorsqu'il estime en conscience que cette sujétion a pour effet de causer une altération grave de sa santé physique ou mentale ou de conduire cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n'est pas nécessaire. En cas d'impossibilité d'obtenir l'accord de la victime, le médecin ou le professionnel de santé doit l'informer du signalement fait au procureur de la République ;

3° Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui porte à la connaissance du procureur de la République une information relative à des violences exercées au sein du couple relevant de l'article 132-80 du présent code, lorsqu'il estime en conscience que ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci n'est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l'emprise exercée par l'auteur des violences. Le médecin ou le professionnel de santé doit s'efforcer d'obtenir l'accord de la victime majeure ; en cas d'impossibilité d'obtenir cet accord, il doit l'informer du signalement fait au procureur de la République ;

4° Aux professionnels de la santé ou de l'action sociale qui informent le préfet et, à Paris, le préfet de police du caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent et dont ils savent qu'elles détiennent une arme ou qu'elles ont manifesté leur intention d'en acquérir une ;

5° Au vétérinaire qui porte à la connaissance du procureur de la République toute information relative à des sévices graves, à un acte de cruauté ou à une atteinte sexuelle sur un animal mentionnés aux articles 521-1 et 521-1-1 et toute information relative à des mauvais traitements sur un animal, constatés dans le cadre de son exercice professionnel. Cette information ne lève pas l'obligation du vétérinaire sanitaire prévue à l'article L. 203-6 du code rural et de la pêche maritime.

Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi.